Participer ou pas aux enquêtes publiques ?

 

Jusqu'à présent SOS Durance Vivante participait aux enquêtes publiques. Il y avait deux conditions pour cela :

- Que le périmètre de l’enquête publique soit en adéquation  avec l’objet de notre association

- Qu’une ou plusieurs personnes puissent se charger de ce travail.

Après avoir participé à plusieurs enquêtes, nous  posons, une nouvelle fois la question de l’intérêt de continuer à effectuer cette tâche qui peut s’avérer lourde en terme de travail. Le temps dégagé par la non participation à ces enquêtes publiques ne serait-il pas profitable sur d’autre dossier ?

 

Cette question, nous la posons à la lumière de deux éléments nouveaux :

Nos expériences de participation aux enquêtes publiques et la parution  de  l’ouvrage « Inutilité publique, Histoire d’une culture politique Française «  de Fréderic Graber paru en 2022.

http://www.editionsamsterdam.fr/inutilite-publique/

Extrait :

« En 2016, le tribunal administratif de Grenoble, a recensé sur 600 enquêtes publiques, 1% d’avis défavorable».

Tout l’objet de ce livre est de démontrer, arguments à l’appui, que les enquêtes publiques sont là parmi un ensemble de procédures administratives destinées à sécuriser un projet d’un point de vu administratif et juridique.  Il y a alors pendant et à l’issue de toute cette procédure, une arme, un concept imparable qui est agité c’est celui « d’utilité publique ». Ce graal administratif ne peut souffrir d’aucunes contestations.

Les arguments, parfois nombreux, lors des enquêtes publiques, qui sont opposés au projet, sont simplement enregistrés et les réponses qui sont apportées sont de deux ordres :

- soit le projet répond déjà à cet argument,

- soit l’argument contestataire est hors projet. Enfin l’argument peut aussi être qualifié « d’intérêt particulier » ce qui ne peut pas résister à une rhétorique d’un projet qui défend l’utilité publique.

(ici un article consacré à une enquête publique à laquelle nous avons participé) :

L’imaginaire qui est à l’œuvre dans l’aménagement généralisé de nos territoires est celui d’un entreprenariat bâtisseur qui ne doit non seulement rencontrer aucun obstacle mais qui doit pouvoir réaliser son projet dans les meilleures conditions juridiques et administratives. L’expropriation, doit être sécurisée, elle est conditionnée par cette utilité publique qu’une poignée de personne est capable de délivrer.

L’utilité publique est donc un concept au service des bâtisseurs, des aménageurs du territoire, et non un concept au service de la biodiversité ou plus globalement de l’environnement.

Cette utilité publique consacre concrètement le choix vers une économie qui repose sur des aménagements (une route, un stade, un rond point, un bâtiment publique, etc.) et non vers un champ qui pourrait être laissé en friche ou une rivière et son domaine d'expansion des crues par exemple.

Notre utilité publique est incapable de « valoriser » un champ en friche, une rivière, de considérer que ce champ en friche ou cette rivière à une valeur intrinsèque, il faut déverser du béton pour avoir ce label « utilité publique », il faut barrer, contraindre la rivière, prélever massivement son eau.

Face à ce rouleau compresseur idéologique (un rond point, un barrage valent mieux qu’un champ en friche ou une rivière et son domaine d’expansion des crues), que pouvons-nous faire ?

Nous ne remettons pas en cause le fait qu’il faille entreprendre des aménagements pour la population ;  ce que nous discutons c’est le bien fondé de nombreux aménagements qui sont contestés et qui pourtant se font sous le sceau de « l’utilité publique » qui n’est pas bâtit sur une procédure démocratique (c'est démontré dans ce livre et par nos expériences).

Parmi les arguments que nous relevons dans ces enquêtes publiques, c’est que nous faisons face à des problèmes dit « contemporains » comme le changement climatique, l’écroulement de la « biodiversité » et bien évidemment, la remise en question du cycle de l’eau par des aménagements, déversements de substances plus ou moins toxiques, entre autres dans nos rivières et extractions massives toujours à l’ordre du jour dans nos rivières, dont Durance.

Bien que nos arguments soient solides,  ils ne sont pas entendus ; cette procédure ne permet pas de remettre en question des équipements ne répondant pas aux enjeux contemporains, bien au contraire : comment déclarer d’utilité publique un zône industrielle dans le lit majeur de Durance ? Comment déclarer d’intérêt publique une nouvelle rocade routière et un nouveau pont qui va avec dans le lit majeur de Durance ? Justement en écartant la population de ces décisions.

SOS Durance Vivante a-t-elle les moyens de remettre en cause cette imaginaire ? De permettre à d’autres projets, plus respectueux de l’environnement, de pouvoir être qualifiés d’utilité publique.

En participant aux enquêtes publiques nous avions l'espoir de faire valoir nos arguments, mais avec le recul et quelques actions juridiques, nous pouvons constater, bien qu’il y ait quelques victoires (15% d’après notre avocat devant le tribunal administratif) que le béton doit couler, car là aussi il y a un autre imaginaire qui est tenace c’est celui de l’emploi.

Béton qui coule, aménagements = emplois.

Il n’existe aucune corrélation systématique entre la quantité de béton versée et la quantité d’emplois créés.

Dans ce contexte idéologique dominant, que pouvons-nous faire ?

- Continuer à participer aux enquêtes publiques car les documents mis à disposition, lors des enquêtes, sont une source incontestable de connaissances.

- Continuer à participer en dénonçant la « farce » démocratique à l’appui de notre expérience et de cette recherche de M Graber.

- Ne plus participer et le faire savoir aux principaux responsables des enquêtes dont le préfet par exemple.

- Ne rien faire.

- Autres…

Nouvel extrait de l’ouvrage  :

« Les enquêtes d’ancien régime et leurs pendants au XIXe siècle relève d’une culture politique commune : une culture de l’enregistrement. Il n’est pas question d’organiser un débat et encore moins de conférer aux populations un quelconque droit politique, une capacité à décider ou à influer significativement sur le projet. Il s’agit d’enregistrer les plaintes qui s’élèvent contre le projet, pour pouvoir ensuite affirmer que l’on a entendu tout le monde, preuve que l’on  tranche avec justice. Ces enquêtes permettent de répondre à une difficulté classique : parce que les grands projets changent l’état du monde, certains vont en souffrir ou y perdre, que ce soient des citoyens ou des environnements, d’autres y gagneront ou  feront du profit. Cette difficulté se résout en France, depuis l’ancien régime, par la référence à la notion d’utilité publique [.] l’enquête publique reste, aujourd’hui comme hier, une formalité préalable au sein d’une procédure d’autorisation administrative. Quelle que soit la manière dont on conçoit la démocratisation de l’enquête publique à la fin du XXe siècle, on ne parvient jamais tout à fait à effacer les profondes continuités qui la rattachent à des logiques anciennes et pas nécessairement très démocratiques. »

Article de M Graber

 

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