La rivière Eze polluée

Le Parquet environnemental de Nîmes propose une CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public environnementale) à la cave coopérative Terres Valdèze et à la Société des Eaux de Marseille pour atteintes à l’environnement.

Notre association porte la voix de l’Eze, cet affluent de la Durance qui irrigue toute la vallée d’Aigues dans le Sud Luberon, au cœur du Parc Naturel Régional.

Située à l’entrée de La Tour d’Aigues, en bordure de l’Eze, la cave coopérative vinicole Terres Vadèze est classée ICPE (Installation classée pour l’environnement) pour sa capacité de production et donc son impact inévitable sur l’environnement. Sa station d’épuration dotée d’un méthaniseur recueille ses effluents mais aussi ceux de l’UVCL Marrenon et, depuis 2019, les effluents de la cave d’Ansouis. La coopérative Terres Valdèze sous-traite la gestion de cette station à la Société des Eaux de Marseille (SEM).

La cave affiche un chiffre d’affaires annuel de près de 18 millions d’euros en 2022.

Que s’est-il passé ?

Le 4 octobre 2021, une première plainte est déposée à la gendarmerie par la Fédération de Pêche du Vaucluse pour des rejets d’eau usée noirâtres et nauséabonds qui s’écoulent directement dans le cours d’eau Eze au niveau de la cave coopérative Terres Valdèze.  

Le lendemain de la plainte des pêcheurs, l’Office Français de la Biodiversité, policier de l’eau, constate que les rejets polluants proviennent bien de cette station d’épuration. Ses analyses sont accablantes : urée et phosphore supérieurs aux limites autorisées, demande biologique en oxygène (DBO 1*) 25 fois supérieure à la limite maximale, demande chimique en oxygène (DCO 2*) 8 fois supérieure à la limite maximale, les matières en suspension (MES 3*) 7 fois supérieures à la limite autorisée. Le manque d’oxygène dans l’eau porte une atteinte directe à la faune et à la flore du milieu aquatique.

Les déversements polluants persistant, SOS Durance Vivante et l’ADREVE (Association de défense de riverains qui se plaignent des odeurs nauséabondes dégagées par la station d’épuration depuis plusieurs années) déposent plainte à leur tour pour déversement par négligence, nuisible aux eaux superficielles.

L’enquête de l’Office Français de la Biodiversité révèle une importante eutrophisation 4* de la rivière Eze (algues filamenteuses vertes, brunes et noires) dès le mois d’avril 2022, au point de rejet de la station d’épuration et en aval, alors que peu ou pas d’algues sont constatées en amont. De leur côté, les services de l’État dans le département corrèlent l’origine des pollutions et l’attribuent à une « gestion erratique » de la station d’épuration.

Pendant les vendanges 2022, en septembre, une nouvelle pollution de l’Eze est constatée avec des écoulements non traités en provenance des aires de déchargement du raisin, via le réseau d’évacuation des eaux de pluie de la cave, ce qui semblait habituel…

Faisant suite à ces plaintes et à l’enquête de l’OFB, le Parquet du Tribunal Judicaire de Nîmes a proposé en juin 2023 à chacune des deux entreprises mises en cause, une Convention Judiciaire d’Intérêt Public environnementale.

Il y est noté ce qui est reproché aux mis en cause : ….d’avoir à La Tour d’Aigues (84), du 4 octobre 2021 au 22 septembre 2022, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, déversé ou laissé s’écouler dans les eaux superficielles et souterraines, une ou des substances dont l’action ou les réactions ont entraîné des effets nuisibles sur la santé et des dommages à la flore ou à la faune, avec ces circonstances que ces faits ont été commis par une personne morale ; en l’espèce, d’avoir pollué la rivière Eze par déversement de substances nocives pour le milieux aquatique.

La CJIP ordonne à ces entreprises de :

• Verser une amende d’intérêt public au Trésor Public d’un montant de 5.000€ ;

• Régulariser sa situation au regard de la Loi en mettant en conformité sa station d’épuration, sous le contrôle des services de l’Etat ;

• Restaurer la qualité de la rivière Eze en mettant en œuvre trois actions : faire établir un diagnostic environnemental pour améliorer sa qualité, du point de rejet jusqu’à sa confluence avec la Durance, créer des roselières sur les berges de la rivière, créer une zone tampon entre la station d’épuration et la rivière Eze pour protéger le cours d’eau des éventuels débordements ;

• Réparer les préjudices des associations et riverains victimes de la pollution aquatique et de l’air.

Huit mois après la proposition de CJIP, aucune information n’est donnée aux associations plaignantes. La nouvelle saison vinicole de 2024 se passera t’elle sous ce statu quo inacceptable? Si au lieu de poursuites pénales le parquet environnemental a privilégié une alternative aux poursuites en proposant la convention judiciaire d’intérêt public, il nous semble qu’après huit mois de silence de la part de la justice comme des mis en cause, les voix de l’Eze et de ses riverains, les voix de la faune, de la flore doivent être entendues avec force, la question de l’eau dans notre région devient plus vitale et plus urgente que celle du vin.

1* Quantité d'oxygène nécessaire pour oxyder les matières organiques (biodégradables) par voie biologique (oxydation des matières organiques biodégradables par des bactéries). La demande biologique en oxygène (DBO) est un indice de pollution de l'eau qui permet d'évaluer la fraction biodégradable de la charge polluante carbonée des eaux usées

2* La demande chimique en oxygène (DCO) correspond à la quantité d'oxygène (en mg) qui a été consommée par voie chimique (dans les conditions de l'essai) pour oxyder l'ensemble des matières oxydables présentes dans un échantillon d'eau d'un litre.

3*Les matières en suspension (ou MES) (ou particules en suspension) désignent les matières solides insolubles visibles à l'œil nu présentes en suspension dans un liquide. 

4*L'eutrophisation est une forme de pollution (qui peut être naturelle ou d’origine humaine) de certains écosystèmes aquatiques qui se produit lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent.

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