Témoignage Pierre D

L’eau y est souvent assez claire, il n’y a plus d’odeurs tenaces au débouché des émissaires…par endroit, en faisant abstraction des autoroutes qui la longent, on se croirait presque au bout du monde…seul, au cœur des rares iscles, redevenues sauvages.

J’ai presque toujours fréquenté la Durance …

 

 La Durance à Villelaure La Grande Bastide Vaucluse Octobre 2021

 

Je m’en suis éloigné longtemps, "mes" rivières furent la Marne, le Grand Morin, l'Ourcq canalisé et l'Ourcq sauvage, la Drouette, mais à chaque fois que je revenais, je ne manquais pas de la retrouver à nouveau pour quelques jours, voire quelques heures.

 

Enfant, mon père, le plus souvent m’accompagnait…il me parlait de la rivière d’avant …une rivière d'avant le grand Barrage, une rivière longée par mes ancêtres, gavots du Dévoluy et du Champsaur, ou déserteur de l’armée italienne, dans une vallée marquée par le passage des Vaudois, des déracinés, des oiseaux, des poissons …

 

Quand j’ai réussi à convaincre ma mère que je savais nager, j’y allais enfin seul … le plus loin possible, comme aux quatre tours…l’eau y était puissante, limpide, son lit instable, ses bras capricieux. Un ermite, vivait chichement face au Sambuc, la rivière à ses pieds…je l’enviais

 

La rivière d’avant, avait mauvaise réputation, il y a des trous, des sables mouvants, prends garde, me disait-on. Mais déjà à cette époque le mal affaiblissait la Durance qui pour beaucoup, n’était plus qu’un souvenir. Seuls les anciens la gardaient en mémoire.

Il y avait bien des décharges plus ou moins sauvages, plus ou moins contrôlées…on balançait les déchets en Durance, on n’enfouissait pas. Par endroit, surtout en aval de Pertuis, les plastiques envahirent la ripisylve, les déchets s’accumulaient au bas des radiers.

Il n’y avait pas de station d’épuration, l’odeur était insoutenable par endroit, à Pertuis, l’équarisseur, rejetait des déchets putrides directement dans l’Eze…quand la puanteur atteignait Pertuis, on disait simplement ça sent PAROLA, c’était bon signe l’été car l’odeur annonçait la pluie et la fraicheur dans les maisons…

Pechiney, tournait déjà à plein régime, personne n’avait conscience des quantités de mercure qui allaient envahir les limons…les PCB existaient peut-être, mais nul ne s’en souciait ; du moment que l’eau est claire, elle est propre !!! 

Aménagement du bassin versant de la Durance, barrages, canal EDF, digues, extraction d’agrégats dans le lit mineur, tout le monde s’en fichait, quasiment personne n’en parlait.

Tout n’était pas rose, donc, mais il y avait de la vie dans la rivière, poissons d’eau vive en abondance, et sur ses rives demeurées temporairement sauvages, milans, bécassines, butors …

A chacune de mes visites pourtant la Durance changeait, elle me semblait devenir plus maigre, plus chétive, contenue par digues "protectrices" pour n’être maintenant, qu’un objet de convoitise économique, trésor qui s’amenuise au fil des ans …dans l'indifférence et le déni de certains.

J’ai presque toujours fréquenté la Durance

… et je voudrais lui redonner son vrai visage.

Pierre D le 24 Avril 2020

 

 

 La Durance à Villelaure La Grande Bastide Vaucluse Octobre 2021