L'eau et les rives - I

Montgenèvre/Embrun 2022

Marche de découverte

Partir des sources jusqu'à Embrun ce sont d'abord de beaux paysages, et, l'attachement et la vision positive qu'ont de leur milieu les habitants rencontrés. Pourtant, derrière ce cadre séduisant et ces personnes sincèrement attachées à leur région, de nombreuses préoccupations se dessinent, s'observent, se parlent. L'eau, bien sûr, avec des arrêtés sécheresse à répétition et un mois de septembre qui se termine sans pluie....et puis le « sur tourisme », la question du logement, du foncier, du travail etc....

C'est ce que cette marche nous a fait découvrir.

1- Les quatre étapes de la marche

2- La rencontre des acteurs locaux

3- Les conditions du voyage

4- Perspectives

 

1 - Les quatre étapes de la marche

Première étape  Les sources de la Durance, Montgenèvre - La Vachette

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  • une station qui fait fi des sources et cultive la neige artificielle.

La marche a débuté au bas des pistes de la station de ski de Montgenèvre, pour découvrir les sources de la Durance. Lors de l' ascension nous avons observé les aménagements du « ruisseau » Durance : buses, enrochements, captations de sources, liés au développement de la station de ski. Il n'y a aucune indication de fragilité pour les sagnes , pour la préservation des sources et ses enjeux...mais d'immenses panneaux de propositions touristiques.

Une retenue d'eau sert aux canons à neige, dont l'extension semble sans fin, ainsi que les aménagements touristiques. En 2005, déjà, un article du RAVI alertait: https://www.leravi.org/journal/article-ski-les-canons-de-la-discorde/

Montgenèvre dépend de nombreuses sources pour son eau potable, les préserver est vital ; l'augmentation de la fréquentation touristique, la neige artificielle, la surchauffe de l'eau des stations d'épuration par les douches du soir provoquent des impacts sur le milieu qui pourraient bien devenir irréversibles. Un article sur la neige dite « de culture ».

https://blog-isige.minesparis.psl.eu/2018/07/26/neige-de-culture-une-solution-durable/

 

  • Une confluence très spéciale

    On s'y tromperait, la Durance, petit torrent de montagne, vient confluer avec la Clarée, rivière déjà constituée et vive. Une erreur d'appellation ? Non, un choix entre pente et longueur.

    Depuis les sources de la Durance le dénivelé a atteint 1000 m à cette confluence, la marche en forêt qui mène à la Vachette est magnifique. La Clarée a déjà parcouru environ 30 km tandis que la Durance n'en a parcouru que 8.

 

Deuxième étape Villard St Pancrace - L'Argentière

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A Villard St Pancrace un panneau évoque les paysans mineurs

Les mines de charbon de St Pancrace datent du début du XIXème siècle, le charbon était destiné à la consommation locale, puis pour un marché plus large, transporté par le train. Nous nous interrogeons sur cette double activité et la rudesse des deux métiers.

https://www.villard-st-pancrace.com/tourisme/patrimoine/mines

En chemin nous rencontrons la responsable d'une petite ferme pédagogique :quelques animaux de races en voie de disparition, sans production alimentaire. Nous évoquons l'eau, qui vient de 600 m au dessus, gratuitement. Pour elle c'est une évidence d'être prioritaire pour l'eau. Mais qu'est ce qu'une ferme sans production ? Un petit zoo ? La priorité de l'eau par rapport à des jardins vivriers ne nous semble pas évidente.

Après la traversée du village de Prelles nous constatons que la Durance semble plus petite, nous comprendrons par la suite qu'une conduite souterraine de plus de 7km va vers L'Argentière. La carte au 25ème est à regarder...à la loupe ! Le système hydraulique date du début du siècle. Une autre conduite arrive depuis Vallouise vers L'Argentière, c'est La Gyronde qui a été captée aussi pour l'industrie, la conduite forcée dite syphon de L'Argentière, du début du siècle, est classée monument historique.

Une Via Ferrata impressionnante suit la canalisation et traverse les gorges. Pour comprendre les aménagements, une carte :

https://geologie.ecrins-parcnational.fr/data/pdf/PAC-0101-Amenagements.pdf

Nous empruntons la départementale qui passe à flanc de montagne sur la rive droite, et nous arrêtons au site archéologique de la Vignette qui montre l'importance de l'activité viticole passée: https://journals.openedition.org/archeomed/7672

La route est plus passante que ce que nous pensions et la marche s'avère pénible avec les voitures. Comme nous le constatons souvent, aucun passage n'est prévu pour les vélos ou les marcheurs, les voitures sont toutes puissantes, leurs conducteurs absents au lieux traversés.

 

Troisième étape La Roche de Rame - Eygliers

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Nous observons les premières tresses après La Roche de Rame, nous rencontrons par hasard une élue de la Roche de Rame, avec qui nous échangeons longuement. Elle connait bien sa commune et les enjeux.

La centrale hydroélectrique de la Rame date de 1909, on constate l'ancienneté des ouvrages. De l'usine la Nitrogène (produits pour l'agriculture) pour laquelle elle avait été créée ne reste qu'un bâtiment occupé par...une entreprise de films plastiques (!?)

Avec la disparition des usines la destination de l'énergie hydroélectrique a changé, pour quelles usages et quels effets ? Le changement climatique oblige à repenser l'avenir du système hydraulique Durance, en même temps que l'avenir, tout court !

https://dossiersinventaire.maregionsud.fr/dossier/centrale-hydroelectrique-de-rame/026b094c-1cc8-498c-854d-fe3fd05bab89

https://dossiersinventaire.maregionsud.fr/dossier/usine-de-produits-electrochimiques-la-nitrogene/569371d5-460e-42eb-989a-c2772bd58cf7

Nous longeons la Durance au plus près, dans le lit majeur au pied des pentes boisées, puis nous passons près de l'aérodrome de Mont-Dauphin St Crépin, sur le terrain duquel paissent des moutons, contraste contemporain des activités !

Nous faisons un détour à la fontaine pétrifiante de Réotier, avant d'arriver à la gare d'Eygliers (1883). C'est la voie ferrée d'Embrun à Briançon. Les ouvrages nous indiquent les étapes du développement de la haute vallée de la Durance, dite enclavée. Et les détails sont parfois intéressants. https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA05000625

 

Quatrième étape St Clément – Siguret

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Nous ne sommes plus que quatre, deux d'entre nous feront une marche vers le Lac de Siguret, lac naturel d'origine glaciaire.

Les deux autre marcheront sur la petite route surplombant la Durance et ses méandres, de St Clément à Siguret, en alternance entre bois et champs, avec la Durance compagne de route.

Nous descendons avec Thomas Pascal au bord de la rivière.

 

2 - Conférence et rencontres

A Guillestre nous accueillons Hervé GASDON*, ancien forestier à l'Office National des Forêts (ONF) et responsable territorial du service de Restauration des Terrains en Montagne (RTM) de l’Embrunais dans les Hautes-Alpes, pour une conférence intitulée Le Temps des Forestiers - 1827-1914 et l’histoire de la restauration des terrains de montagne.

*Auteur du livre : LES SENTIERS DE MONTAGNE DES FORESTIERS-Itinérance entre la Durance et l’Ubaye. Ed . Transhumances,2019

Les Hautes-Alpes, dont une grande partie des montagnes, ont été fortement déboisées au cours des siècles provoquant une recrudescence des phénomènes naturels en particulier les crues torrentielles. L'histoire du reboisement massif correspond, pour la montagne, au temps des forestiers entre 1827, publication du code forestier, et 1914, début de la grande guerre. Nous découvrons les relations difficiles entre les populations agricoles montagnardes et les forestiers tout au long de ce XIXe siècle.

Le débat : Quelle part de déboisement est dû à l'agro sylvo pastoralisme, aux guerres ou au bois exporté ? Fallait-il convaincre et imposer à la population une certaine modernité, faire disparaître une paysannerie « malheureuse »? Forestiers sociaux ou soldats d'un pays en reconstruction, des hommes et des femmes ont accompli à mains nues un travail extraordinaire. Mais des réponses ne sont pas évidentes. Monoculture d'arbres, tourisme, consommation (dont l'eau), cette modernisation permise après le reboisement n'a t'il eu que des effets positifs sur la vallée ? Un dîner partagé permet de prolonger la conversation, merci à Hervé.

A Siguret : Thomas Pascal, représentant du Collectif Haut Alpin pour la protection des torrents et rivières, moniteur de canoë –kayak en été, moniteur de ski en hiver.

Le collectif est un regroupement d’associations, de syndicats professionnels et de citoyens attachés à la défense de la nature et des pratiques sportives et de loisirs durables autour de torrents et de rivières libres.

https://collectif05rivieres.org/

En amont de Siguret, nous observons une ferme en contrebas, ancien moulin au milieu d'un pré dans un méandre. Convoité pour l'extraction, cette zone humide fragile a été l'objet d'un combat pour sa préservation, les enjeux nous sont expliqués par Thomas, qui nous explique aussi les limites d'une réhabilitation des carrières par comblement des cavités dans des zones filtrantes naturellement : colmatages et pollutions.

Lors du pique nique, des photos, posées sur les galets de la rive nous sont commentées : espèces rares de sauterelles, truite fario... Observation  de la ripisylve (qui peut devenir forêt sèche...), le travail, les micro-centrales hydroélectriques, le plastique des coques des canoës, le ski, de nombreux sujets abordés nous permettent d'appréhender leur complexité, des points de vue, des milieux...

Nous repartons avec de nouveaux éléments de connaissance pour aborder la question : quelles activités à privilégier pour le bassin de la Durance... ? Merci Thomas !

 

A Embrun notre voyage se termine, la ville est construite sur une terrasse fluviale de la Durance , nous admirons le panorama et nous installons sur l'espace aménagé qui surplombe la terrasse, après être entrés dans la cathédrale du Réal , un beau monument à visiter.

La rencontre avec Anna Scarton, Jean Ganzhorn et Nicolas Will, des militants du collectif Adieu Glaciers 05, est animée par l'idée que nous devons nous relier entre habitants du bassin de haute, moyenne et basse Durance.

Pour ces militants le changement de société doit être large et transversal. L'éducation, le partage est leur moteur : agir localement, informer, organiser des événements pour mobiliser les habitants... https://les-champs-libres.fr/adieu-glacier-05

Jean Paul Coulomb, de la LPO, médecin retraité, est engagé comme bénévole sur un programme d'analyse de la présence de micro plastiques à Serre Ponçon, considéré comme un observatoire des pollutions plastiques. 25 millions de microplastiques sur 60 m² et 10 cm d’épaisseur, ce sont les résultats d’un prélèvement d’humus sur l’espace naturel sensible du Liou, sur les berges de Serre-Ponçon. Les brises thermiques montantes font se concentrer les déchets sur l’amont de la retenue. C’est ce que l’on appelle « l’effet Serre-Ponçon », un phénomène qui tient en trois mots : bloquer, concentrer, pulvériser. Les résultats questionnent sur le volume de déchets produits sur le bassin-versant de Haute-Durance....

Un article de recherche (en anglais), paru dans la revue Frontiers le 17 août 2022, analyse cette pollution plastique exceptionnelle. La liste des déchets ramassés dans le lac depuis début 2017 est interminable, c'est un travail conjoint remarquable de bénévoles, d'associations, de chercheurs.

Voici un constat qui plombe un peu notre fin de voyage et raconte la folie des modes de vie dans ces montagnes comme ailleurs...

Bravo, et merci à Jean Paul, Anna, Jean et Nicolas.

3 - Les conditions du voyage

Nous avons choisi d'être logés dans un lieu unique pendant le temps de la marche, hébergement qui se trouvait à mi-distance de l'amont et l'aval. Nous avons choisi Le centre cAp Verb à Guillestre, ce centre, se présente ainsi :

Centre d'Accueil et de Promotion du Vivre Ensemble et du respect de la Biodiversité.

Nous remercions toute l'équipe pour son accueil, son intérêt pour notre action, et nous recommandons ce lieu simple et pratique (salles équipées), qui nous a permis d'être confortablement installés, d'organiser une conférence, de bénéficier d'une demi pension et de la préparation de pique-niques. https://www.capverb.org/

Notre rythme s'est adapté à chacun. Nous nous sommes organisés en fonction des uns et des autres au jour le jour (nous étions peu nombreux, cela était facile). Les déplacements en voiture ont été effectués et organisés avec des voitures personnelles. Le retour d'expérience de cette première organisation sera pris en compte pour la suite.

4 – Perspectives

 

Nous envisageons un autre marche en 2023 au mois de juillet, avec une partie en canoë, et une arrivée pour le big jump 2023.

L'arrivée à Embrun nous a montré combien le niveau du lac de Serre Ponçon était préoccupant, la question de l'eau a été posée et observée tout au long de la marche, agriculture, tourisme, extractions, gestion des forêts, situation sociale dans cette haute vallée de la Durance, ces sujets sont les nôtres, étudiés à partir de leur impact sur la rivière, ses rives et son eau et cette marche nous a confortés dans notre objet d'une renaturation, pas seulement du lit, mais des activités humaines à penser et imaginer pour l'avenir du bassin durancien.

Ni nostalgie du passé souvent méconnu et parfois transformé, ni contentement de petites adaptations d'un présent aujourd'hui inacceptable, l'avenir passe par l'écriture de nouveaux récits, par l'écoute et la mobilisation des habitants, l'accès aux connaissances historiques et actuelles, l'expérience sensible, la co-construction avec des acteurs.

La marche de découverte fait désormais partie de nos outils.

Les marcheurs : Françoise, Viviane, Gérard, Jean-Michel, Pierre

et Simon de l'association amie SOS Loire Vivante