« Le partage de la ressource en eau sur la Durance en 2050 : vers une évolution du mode de gestion des grands ouvrages duranciens ? »

 

Eric Sauquet, Yannick Arama, Eugénie Blanc-Coutagne, Hélène Bouscasse, Flora Branger, et al.. « Le partage de la ressource en eau sur la Durance en 2050 : vers une évolution du mode de gestion des grands ouvrages duranciens ? » La Houille Blanche - Revue internationale de l’eau, EDP Sciences, 2016, 2016 (5), pp.25-31. ff10.1051/lhb/2016046 25ff. ffhal-01406130f

Résumé. Une vision prospective de la gestion de l’eau du bassin de la Durance et des territoires alimentés par ses eaux à l’horizon 2050 a été élaborée, appuyée par une chaine de modèles incluant des représentations du climat, de la ressource naturelle, des demandes en eau et du fonctionnement des grands ouvrages hydrauliques (SerrePonçon, Castillon et Sainte-Croix), sous contraintes de respect des débits réservés, de cotes touristiques dans les retenues et de restitution d’eau stockée pour des usages en aval. Cet ensemble, validé en temps présent, a été alimenté par des projections climatiques et paramétré pour intégrer les évolutions du territoire décrites par des scénarios de développement socio-économique avec une hypothèse de conservation des règles de gestion actuelles. Les résultats suggèrent à l’horizon 2050 : une hausse de la température moyenne de l’air impactant l’hydrologie de montagne ; une évolution incertaine des précipitations ; une réduction des stocks de neige et une fonte avancée dans l’année qui induisent une réduction des débits au printemps ; une diminution de la ressource en eau en période estivale ; une diminution de la demande globale en eau à l’échelle du territoire, qui dépend fortement des scénarios territoriaux élaborés ici ; une diminution de la production d’énergie due notamment à la réduction des apports en amont des ouvrages hydroélectriques ; la satisfaction des demandes en eau en aval des ouvrages considérées comme prioritaires mais avec pour contrepartie moins de flexibilité pour la production d’énergie en hiver. »

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Méthode

« Une chaîne de modélisation numérique a été développée et mise en place sur le territoire, incluant des représentations actuelles et futures : du climat, de la ressource naturelle, des demandes et prélèvements en eau pour l’agriculture, l’industrie et l’alimentation en eau potable, du fonctionnement des grandes réserves hydrauliques… Nous avons pu vérifier que cet ensemble de modèles était apte à reproduire de manière satisfaisante le fonctionnement actuel des composantes naturelle et anthropique de l’hydrosystème prenant en compte les principaux processus, leurs interactions et leur spatialisation. »

« Le changement climatique envisagé sur la période 2036-2065 et ses effets sur la ressource naturelle, mesuré sur la base des 330 projections échantillonnées, se traduit par les évolutions suivantes par rapport à la période 1980-2009 (Figure 3) : - pour le climat, de manière assez homogène : une augmentation des températures d’au moins 1°C, et pouvant aller jusqu’à 3°C, plus importante l’été, et une évolution incertaine des précipitations ; - pour l’hydrologie naturelle, les modèles hydrologiques semblent converger vers une diminution de la ressource disponible. Nous notons ainsi une réduction des débits d’étiage estivaux et du manteau neigeux. Les modifications portant sur la dynamique du stock de neige projetées en amont de Serre-Ponçon se propagent vers l’aval. Les évolutions des débits hivernaux sont incertaines, du fait notamment de la forte variabilité dans les projections sur les pluies »

« Le projet R²D² 2050 a contribué à améliorer la connaissance du fonctionnement actuel du bassin versant de la Durance et des territoires connectés via les transferts d’eau, et à esquisser son devenir en réponse à des scénarios de changements climatiques et socio-économiques en 2050. La richesse des approches et disciplines abordées dans le projet a permis d’engager une réflexion sur les incertitudes sur le devenir de la gestion de l’eau du système Durance. De nombreuses sources d’incertitude sur les données et les modèles ont été identifiées et leur analyse s’est concentrée sur les composantes climat et ressource naturelle. Selon Lafaysse et al. [2014], l’incertitude liée au caractère chaotique du climat (en particulier des précipitations) est loin d’être négligeable. Vidal et al. [2016] ont montré que l’incertitude sur les débits d’étiage en condition naturelle vient majoritairement des modèles hydrologiques, et notamment de leur représentation différentiée des processus liés à l’évapotranspiration et à la neige. Pour un bassin versant dont l’eau est utilisée par des territoires connexes, les résultats ont pu montrer que la part d’incertitude sur le niveau de pression sur la ressource portée par le développement économique joue à part égale avec celle portée par le climat. Au-delà des inévitables incertitudes, le projet a permis de révéler des tendances robustes pour l'avenir. Les modifications du climat engendrent une baisse notable de la ressource naturelle à l’horizon 2050. Les évolutions du territoire induisent des demandes en eau très contrastées. À territoire inchangé, la sollicitation de la réserve de Serre-Ponçon augmente du fait de la baisse de la ressource locale. La tranche d’eau réservée est plus fréquemment insuffisante. Les devenirs du territoire qui incluent la poursuite de programmes d’économies d’eau permettent de contenir dans une certaine mesure l’augmentation des sollicitations de la réserve agricole. La vision sur le système Verdon est différente : à territoire figé au niveau 2010, l’augmentation des sollicitations des ouvrages sous l’effet du changement climatique est plus modérée, et les sollicitations des ouvrages ne sont que faiblement sensibles au climat, affichant une légère augmentation. Seuls trois scénarios du territoire conduisent à une augmentation de la sollicitation des réservoirs du Verdon pouvant dépasser la réserve constituée de Sainte-Croix, mais sans épuiser le total des réserves disponibles en incluant la retenue de Castillon. En revanche, la production d’énergie est directement impactée par la baisse de la ressource naturelle. La baisse probable des apports de fonte conduit à contraindre davantage la remontée de cote avant l’été avec un objectif inchangé de remplissage lié aux cotes touristiques. La réserve énergétique saisonnière est dans ces conditions fortement réduite, quels que soient les devenirs des territoires, et la capacité à répondre aux pics de demande énergétique en hiver pourrait être réduite. Si l’usage touristique de Serre-Ponçon semble pouvoir être sensiblement préservé sous réserve d’une évolution du territoire fondée sur une économie d’eau substantielle, celui de Sainte-Croix et Castillon semble plus délicat à garantir dans les scénarios futurs modélisés. Même si les réserves physiques en eau semblent suffisantes en 2050 et si des incertitudes demeurent à tous les niveaux de modélisation, les changements climatiques et socio-économiques des territoires préleveurs des eaux de la Durance vont modifier la capacité à satisfaire les différents usages. Les tendances fortes qui émergent sur les étiages estivaux doivent encourager la mise en œuvre de mesures « sans regret », visant à prolonger et soutenir les actions d’économies d’eau déjà engagées et à ouvrir le débat sur un nouvel équilibre à trouver entre les usages. Sur les territoires dépendants de la seule ressource locale, la situation pourrait être critique avec des limitations des usages fréquentes qui pourraient fort bien réduire la capacité à prélever l’eau dans les cours d’eau. »

Information proposée par Pierre Paliard