Groupe SOS Durance Vivante

Le droit peut-il vraiment sauver la nature ?

 

Reconnaissance du crime d’écocide, une actualité française-------------------------------------------

Des sénateurs veulent faire reconnaître le crime d’écocide dans la loi française

Le texte d’une proposition de loi, porté par des sénateurs socialistes a été examiné en plénière le 2 mai dernier, et rejeté.

Cette proposition de loi était une surprise, plusieurs partis et personnalités travaillent sur le sujet notamment dans le cadre des élections européennes, mais il ne semblait pas vraiment à l’ordre du jour au niveau national.

 

Principaux motifs de la proposition de loi (déposée le 19 mars 2019)

« La criminalité environnementale connaît une expansion considérable à l’échelle internationale. (…) [Elle] n’est pas le seul fait de mafias ou d’organisations criminelles qui font commerce de l’appropriation illégale de terres, du pillage de ressources ou de la pollution. Elle résulte aussi d’entreprises multinationales ou transnationales qui, profitant des lacunes du droit pénal dans la lutte contre la criminalité environnementale, agissent en toute impunité », indiquent les sénateurs dans l’exposé des motifs, en rappelant les pollutions irréversibles causées par Probo Koala, le navire d’une compagnie suisse ayant déversé des centaines de tonnes de déchets toxiques dans le golfe d’Abidjan (Côte d’Ivoire) en 2006, et la société étasunienne Chevron, qui pendant trente ans a déversé les résidus toxiques de l’exploitation des hydrocarbures dans la forêt amazonienne.

Ils appellent donc, pour les crimes environnementaux les plus graves , l’introduction de l’incrimination d’écocide défini comme « le fait de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème » (art. 1er). Ce crime serait puni d’une peine de réclusion criminelle de vingt ans et de 7,5 millions d’euros d’amende. Les articles 2 et 3 prévoient l’imprescriptibilité du crime d’écocide, comme c’est le cas pour les génocides et crimes contre l’humanité.

Des peines sont également prévues si la simple intention est avérée, sans dommages prouvés.

Pour le sénateur socialiste Jérôme Durain le texte est d’abord une façon "d’entrer dans le débat". "Nous avons voulu un texte simple à comprendre, efficace au niveau des sanctions et qui puisse conquérir politiquement. Les sujets environnementaux sont au cœur de l’actualité planétaire et le sentiment d’urgence se diffuse. Nous avons profité de cet agenda et même bousculé l’ordre de nos propositions de loi pour pouvoir intégrer l’écocide dans notre niche parlementaire"

 

 

 

Rejet de la proposition de loi

Sur le rapport de Marie Mercier (Les Républicains), la commission des lois n’a pas adopté la proposition de loi, estimant que :

  • la rédaction du texte souffrait de trop d’imprécisions pour répondre à l’exigence constitutionnelle de clarté de la loi pénale ;
  • l’arsenal législatif en vigueur permettait déjà de répondre à l’ensemble des situations rencontrées, sans qu’il soit établi que la création d’une nouvelle infraction de portée générale réponde à un véritable besoin.

 

L’avis d’ONG et Juristes------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour FNE (France Nature environnement), il "s’agit d’abord d’appliquer les textes existants en arrêtant de faire passer les intérêts économiques des méga projets avant les intérêts environnementaux", dit Anne Roques, juriste chez FNE

Au contraire, Valérie Cabanes*, juriste internationale spécialiste de l’écocide et présidente d’Honneur de Notre Affaire à Tous (l’ONG à l’initiative de l’Affaire du Siècle), se réjouit de voir une telle loi portée par des élus français. Même si elle s’inquiète des confusions du texte.

"L’intentionnalité est trop restrictive pour être efficace : telle que définie, elle pourrait s’appliquer aux activités mafieuses mais pas aux multinationales", assure-t-elle. L’exposé des motifs de la proposition de loi cite par exemple la pollution pétrolière de Texaco en Equateur. Or, dans de tels cas, il paraît difficile de prouver l’intention de l’entreprise de détruire la forêt amazonienne et de rendre malade la population. 

Mais il faut poser les bases d’une "disposition juridique exigeante"

Valérie Cabanes évoque aussi un manque d’outils permettant de déterminer la gravité des dommages. "En droit pénal, le juge n’a pas de marge d’interprétation. Il faudrait donc intégrer dans la loi les limites scientifiques planétaires qui lui permettraient d’évaluer l’ampleur des dégâts". Autre manque: la mention des générations futures, pourtant essentielle selon la juriste, dans la notion d'écocide.

(Source article de Béatrice Héraud)

Comment faire de l’écocide un crime contre la paix, l’incrimination la plus grave du droit international ?

Un écocide, qu’est-ce que c’est ?------------------------------------------------------------------------------------------

C’est le fait de tuer notre maison commune (le mot vient du grec oikos, «maison», et du latin occidere, «tuer»), celle qui rend notre vie possible. Le terme a été utilisé pour la première fois en 1972 par le Premier ministre suédois Olof Palme, pour qualifier la guerre du Vietnam et l’épandage de défoliant, l’«agent orange», par l’armée américaine sur les forêts vietnamiennes. Des manifestations avaient alors eu lieu aux Etats-Unis pour que l’écocide soit reconnu comme un crime contre la paix. Mais les tentatives ont toujours échoué, notamment à cause de la pression d’Etats comme la France, qui y voyait un risque pour le nucléaire.

 

Les positions françaises------------------------------------------------------------------------------------------------------

On l’a vu, la reconnaissance de l’écocide peine à prendre corps au niveau national, en raison de sa complexité, de sa dimension transnationale et de la défiance qu’elle peut susciter dans les milieux économiques et politiques.

On se demande quel est intérêt de l’écocide quand le «préjudice écologique» est déjà reconnu dans plusieurs pays (en France, Christiane Taubira a promis de l’inscrire dans le code civil, sans l’avoir fait jusqu’à présent).

En France, depuis septembre, des centaines de milliers de personnes ont manifesté pour lutter contre le changement climatique et la pétition « L’Affaire du Siècle » a rassemblé près de deux millions de personnes autour d’une action juridique contre l’État français.

Isabelle Michallet, professeure de droit à Lyon III, a soutenu dans une tribune publiée dans Le Monde sa volonté de renforcer le droit pénal de l’environnement et d’inscrire l’écocide en droit international. Elle qualifie ce concept de « crime grave, portant atteinte à la sûreté de la planète ».

Valérie Cabanes : «L’objectif est de faire de l’écocide le cinquième crime international contre la paix»

La juriste plaide pour une modification du droit international, aujourd’hui pas assez outillé, selon elle, pour faire face aux dégradations de l’environnement et sanctionner efficacement les multinationales irresponsables.

*A lire : Valérie Cabanes - Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide  (Seuil 2016)

 

Tribunaux moraux sur les crimes contre la nature--------------------------------------------------------------------

Aujourd’hui, ce sujet est porté par la mobilisation sans précédent sur le climat et plus largement sur l’environnement au niveau mondial.

Depuis 2009, l’ONG Oxfam organise des « tribunaux sur le climat » et des événements destinés à promouvoir l’idée que ceux qui sont responsables du changement climatique devraient en répondre devant la loi. « Ces tribunaux ont aussi pour but de faire des propositions concrètes aux niveaux national et international, telles que la mise en place d’un véritable tribunal indépendant international sur les questions climatiques ». Une série de « Climate hearings » (Les auditions du climat) a ainsi donné l’occasion aux victimes du changement climatique de faire entendre leur voix à l’échelle locale, nationale et internationale dans le cadre de nombreux événements publics. En 2009 et 2010, Oxfam a impliqué plus de 1,6 million de personnes autour de telles « audiences » sur le climat dans plus de 36 pays, parmi lesquels l’Éthiopie, le Kenya, le Brésil, les Philippines, l’Inde et le Bangladesh.

 

 

 

 

Qu’en est-il de la nature et du droit ?-------------------------------------------------------------------------

Dans de nombreux pays, des éléments naturels obtiennent un statut juridique. De plus en plus d’éléments de la nature sont considérés comme étant de véritables personnalités juridiques dotées d’un statut moral : les lacs, les sources, les ruisseaux, les jungles, les prairies, les vallées, chutes d’eau et désormais les glaciers.

Dans ces pays, la nature a les mêmes droits que les hommes

 

Des droits aux fleuves   -------------------------------------------------------------------------------------------

"I am the river and the river is me". Après environ 160 années de lutte et de négociations entre une tribu Maori et le gouvernement de Nouvelle-Zélande, la rivière Whanganui a été reconnue le 15 mars 2017 comme une entité vivante, une personnalité juridique, dotée des mêmes droits, pouvoirs et fonctions qu’une personne morale.

Considérer une rivière comme une personne n’est pas inhabituel pour les Maoris, pour qui il est normal de dire "Je suis la rivière, et la rivière est moi".

La légalisation a reconnu un lien profond entre le bien-être de la rivière et celui du peuple.

Cette approche marque un tournant dans l’histoire du droit de la Nouvelle-Zélande, et un changement révolutionnaire dans les conventions de la souveraineté humaine sur la Terre.

Chris Finlayson, Procureur Général de Nouvelle Zélande, et chargé des négociations du traité, a déclaré que le changement était sans précédent, sans pour autant être «étrange» car il équivalait à attribuer une personnalité juridique aux entreprises. "Cela marque la fin du plus long litige de l’histoire du pays", déclarait-il à l’issue du vote. Cette législation est une reconnaissance de la connexion profondément spirituelle entre la tribu Whanganui et son fleuve ancestral."

Les droits et les intérêts du troisième plus long cours d’eau du pays peuvent dorénavant être défendus devant la justice. Le fleuve est alors représenté par deux personnes : un membre de la tribu et un autre du gouvernement.

Le parc national Te Urewera - où se situe le fleuve - avait déjà obtenu ce statut en 2014 suite à un accord entre la tribu Maori Tūhoe et l’État de Nouvelle-Zélande.

Quelques jours à peine après la décision de la Nouvelle-Zélande, l'Inde a voulu franchir le pas. Le 20 mars 2017, l'État himalayen de l'Uttarakhand décrète que le Gange et son affluent le Yamuna obtiennent les mêmes droits que les Hommes.

Une décision motivée par l'état catastrophique du Gange : source d'eau pour 500 millions de personnes et d'une importance capitale pour les rites religieux, il est aussi tristement connu pour être l'un des fleuves les plus pollués du monde. La faute aux métaux lourds et polluants chimiques déversés quotidiennement par l'industrie et l'agriculture qui font que le Gange est aujourd'hui 3 000 fois plus pollué que les recommandations de l'OMS.

Le Gange et le Yamuna ont été reconnus comme personnalités juridiques par la justice, et ce, dans leur intégralité, allant jusqu’à leur glacier. Cette décision a pour but de combattre de façon plus efficace la pollution de ces cours d’eau. Le Gange est le plus sacré et le plus long fleuve de l’Inde. Il est malheureusement très pollué par les rejets industriels. La Haute Cour de l’État himalayen de l’Uttarakhand a décrété que le Gange et la Yamuna seraient désormais considérés comme des « entités vivantes ayant le statut de personne morale ».

Ces entités seront donc munies de droits, de devoirs et de responsabilités. « La situation requiert des mesures extraordinaires pour préserver et conserver ces rivières », a déclaré la justice. Cette mesure permettra aux citoyens de saisir la justice afin de défendre ces fleuves sacrés. « Nous ne pouvons qu’espérer que la symbolique de cette décision se concrétise sur le terrain », a déclaré à l’AFP Sanjay Upadhyay, avocat spécialisé dans la défense de l’environnement à New Delhi.

Mais le statut est jugé inefficace en Inde pour préserver le Gange de la pollution et malheureusement, la cour suprême indienne a annulé cette décision de justice le 7 juillet dernier,  précisant que ce nouveau statut ne serait pas "viable" juridiquement.

 

 

Des pays précurseurs du droit de la Nature-----------------------------------------------------------------------

En 2008, l’Equateur adopte une nouvelle constitution qui intègre un nouvel outil législatif pour ses forêts tropicales : la Pacha Mama (la Terre-mère) devient alors un sujet de droit devant être respecté et même réparé en cas de dommages…

Une manière pour les citoyens équatoriens, de préserver leur immense patrimoine naturel dont plus de trois millions d’hectares de forêts amazoniennes. Une première mondiale.

Mais le pays déchante en 2014. Alors que la société pétrolière Chevron-Texaco a été condamnée à reverser une amende record de 9,5 milliards de dollars à l’Équateur pour des dégâts commis dans la forêt amazonienne de 1964 à 1990, la cour d'appel de New York rejette cette décision.

Trois ans plus tard, la Bolivie va dans le même sens et fait adopter une "Loi de la Terre mère" qui établit onze droits fondamentaux pour la nature dont le droit de vivre et d'exister.

En Équateur, depuis l’application de cette loi d’un nouveau genre, la nature remporte une première victoire en 2011 : au nom de la rivière Vilcabama, l'Équateur poursuit le gouvernement de la province Loja, accusé d'avoir causé des inondations suite à un élargissement d’une route jouxtant la rivière. La municipalité a été obligé d’avorter le projet et de réhabiliter la zone.

La ville de Mexico vient à son tour de reconnaître les droits de la nature dans sa législation locale.

 

Cette volonté de protéger la nature par le droit se révèle-t-elle pour autant efficace sur le terrain ?

"Même si la Constitution de 2008 reconnaît des droits à la nature en Équateur, elle n'empêche pas la dégradation de l'environnement, comme en témoigne l'affaire Texaco-Chevron, confiait Laurent Neyret, spécialiste du droit de l'environnement dans les colonnes de GEO. Au lieu de reconnaître tous les écosystèmes comme entités vivantes, je serais plutôt favorable à l'extension des devoirs de l'Homme à leur égard."

Quid du statut de la nature en France ?----------------------------------------------------------------------

En France, la nature est loin d'être considérée comme une personnalité juridique avec ses propres droits. Néanmoins, elle est reconnue comme entité lors de grandes catastrophes écologiques, à l'image des marées noires et des accidents industriels. Mais ces nouveaux statuts de par le monde pourraient peut-être changer la donne selon Valérie Cabanes, interrogée par Télérama :

"Ces décisions nous démontrent qu’il ne s’agit pas de projets romantiques, mais que, au contraire, ce sont des mesures concrètes qui peuvent être adoptées par tout un chacun"

Et cette reconnaissance de droit concerne aussi les animaux, "êtres doués de sensibilité" depuis janvier 2015 en France. L'Argentine est, elle, allée plus loin. En 2014, le pays accorde à Sandra, orang-outan captive depuis 20 ans dans un zoo de Buenos Aires, le statut de "personne non vivante", soit la permission de vivre en liberté . Néanmoins, considérant que le primate n'aurait pas pu survivre dans la nature, le jugement n'a pas été suivi d'effet.

La décision de la Nouvelle Zélande a une portée internationale parce qu’elle vient d’un pays considéré comme occidental et démontre donc que la reconnaissance des droits de la nature n’est pas une spécificité de l’Amérique latine. On a longtemps considéré que les droits de la nature étaient liés à la reconnaissance des droits des peuples autochtones qui défendent une philosophie de vie, le « Buen vivir ». Mais c’est en train de transpirer ailleurs. Pourquoi ? Parce que nous sommes confrontés aujourd’hui à une pollution planétaire et au dépassement de toutes les limites acceptables, en termes de bouleversement du climat, de la biodiversité, des océans, etc.

Sous la pression des sociétés civiles, des juges prennent leur courage à deux mains et décident qu’il est temps que chaque pays prenne ses responsabilités et trouve des parades face à la pollution, face aux activités industrielles dangereuses. Et le droit est un outil : reconnaître une personnalité juridique à des écosystèmes – des fleuves, mais ce pourrait être des forêts ou l’océan –, permettra de cadrer les activités industrielles que l’on n’arrive précisément pas à cadrer par le droit de l’environnement traditionnel…..

….On pourrait aussi citer la décision de cette juge américaine qui a jugé recevable la plainte d’enfants contre le gouvernement, accusé de ne pas protéger leur environnement. On a le sentiment que les décisions s’accélèrent, et font boule de neige un peu partout dans le monde...

C’est le courage des juges ! Le temps du droit est un temps long, le droit national et le droit international ont du mal à évoluer rapidement. En revanche, la jurisprudence, elle, ose et contribue à créer cet effet boule de neige. Elle est posée, à chaque fois, par des juges courageux qui cherchent, comme dans les cas de justice climatique aux Pays-Bas, au Pakistan ou en Pennsylvanie, à reconnaître des droits qui n’existent pas dans le droit : le droit des générations futures, les droits de la nature…

Il s’agit de modifier le statut de Rome, sur lequel se fonde la Cour pénale internationale, pour que l’écocide devienne le cinquième crime international contre la paix, aux côtés du crime contre l’humanité, du crime de guerre, du génocide et du crime d’agression. Pour cela, il faudrait qu’un pays soumette ce projet au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. L’Afrique du Sud et la Bolivie sont intéressées. Le texte sera ensuite discuté et devra recueillir le vote de 82 Etats au minimum. Pas facile, mais on peut les trouver.

La notion d’écocide n’a pas encore de traduction en droit. Plusieurs propositions de définition existent…

Celle qu’End Ecocide on Earth défend est radicale. Elle repose sur la notion de sûreté de la planète et entend criminaliser les dommages graves et durables commis à l’encontre des écosystèmes dont dépend la vie de populations entières, ou de sous-groupes comme les Indiens des forêts brésiliennes. Mais aussi contre ce que nous appelons les «communs planétaires» : l’espace, l’atmosphère terrestre, les fonds marins, l’Antarctique… C’est-à-dire ce qui n’appartient à personne. Ce qui, aujourd’hui, pousse plutôt à leur surexploitation. Fukushima serait ainsi un double écocide : la catastrophe a non seulement mis en danger les riverains japonais, mais, en déversant des tonnes d’eau radioactives dans l’océan, elle a aussi atteint un commun planétaire. Dans notre définition, pas besoin de prouver l’intention de nuire à la nature. Si on reste sur une lecture intentionnelle, on ne pourra jamais poursuivre personne : aucun chef d’entreprise ne dira qu’il a foré le sol dans le but de nuire à la nature. Une personne doit pouvoir être poursuivie si elle avait conscience que ses actes pouvaient avoir de telles conséquences. Condamner un écocide, même non intentionnel, permet de mettre en place un vrai principe de précaution, universel et contraignant.

Le concept occidental de nature--------------------------------------------------------------------------------------- Il dépend très largement des enjeux politiques liés à ces civilisations, qui sont pluriels : c'est une nature saisie par l'écologie, une science qui s'intéresse aux populations, à la génétique ; une nature-wilderness, vierge, livrée à la contemplation paysagère, aux réserves de biodiversité ou aux activités sportives ; une nature sous-sol, liée aux activités extractives qui engendrent des déplacements colossaux de matière, pour n'en citer que quelques-uns.

Le Rapport du Club de Rome remis en 1972 aux Nations unies mentionne un effondrement possible de l’écosphère au XXIe siècle en l’absence de prise de conscience de la dégradation de la planète. Pour y parer deux visions conceptuelles s’opposent. Pour les tenants de l’anthropocentrisme il convient de bien gérer la planète qui constitue notre patrimoine commun. Pour ceux de l’écologie profonde l’homme n’est qu’un élément de la nature parmi d’autres. Il vit en symbiose avec les autres éléments. Ceux-ci doivent être respectés.

Être écologiste, qu’est-ce à dire ??-----------------------------------------------------------------------------

Le point de vue écocentrique

Pour les tenants de l’écologie profonde la nature a une valeur intrinsèque. Elle est valorisée pour elle-même. Ceci découle d’une vision du monde et de la conscience que notre espèce s’origine dans le même processus d’évolution qui a donné naissance à toutes les autres espèces. Accorder une valeur intrinsèque à la nature induit une éthique environnementale. Cette éthique doit être distincte car la plupart des systèmes d’éthique contemporains sont essentiellement individualistes. Bryan G. Norton estime qu’une éthique environnementale ne nécessite pas forcément la reconnaissance d’une valeur intrinsèque des objets naturels non humains. Pour John Baird Callicott au contraire cette reconnaissance est indispensable pour inverser la charge la preuve en cas de litige.

Le point de vue anthropocentrique

Il devient difficile de distinguer ce qui est naturel de ce qui est artificiel. Dans un pays comme la France, de très ancienne civilisation rurale, la nature a été « anthropisée » c’est-à-dire transformée par l’homme. L’homme n’est pas nécessairement destructeur et ses interventions peuvent être favorables voire indispensables à la protection de la nature. L’environnement est un bien collectif à protéger dans le cadre de la législation existante.

Philippe Descola estime que la question du rapport des humains à la nature sera très probablement la plus cruciale du présent siècle. Le droit participe à cette évolution aux côtés de la politique, des sciences et des philosophies. La proposition d’accorder la personnalité juridique à la nature ou à ses éléments représenterait une rupture avec les anciennes manières de voir. La prise en compte de la nature dans les décisions juridiques est déjà une réalité.

Le droit a pour fonction de réparer par une compensation financière un dommage. Dans chaque cas il faut un sujet de droit capable d’ester en justice et de faire valoir qu’il a subi personnellement un dommage indemnisable. Dans un arrêt du 12 juillet 1969 dit « commune de St Quentin » le Conseil d’État énonçait que la perte de richesse biologique par la pollution ne pouvait ouvrir droit à réparation. L’instauration d’un droit de l'environnement a fait évoluer les critères. Des espèces et des zones protégées ont été désignées. L’article L.110-1 du Code de l’environnement intègre l’environnement avec sa diversité et ses équilibres écologiques dans le patrimoine commun de la nation. Les associations et les collectivités territoriales obtiennent un droit de plus en plus large d’ester en justice. Enfin le « préjudice écologique pur » est imposé par la directive européenne sur la « responsabilité environnementale ».

Les limites apparaissent dans la reconnaissance du caractère intrinsèque de la nature, la notion de biodiversité, la mise en évidence d’externalités négatives, la reconnaissance de la souffrance animale en tant que telle. Le droit reconnaît qu’une indemnisation peut être attribuée même en l’absence de propriétaire. Dans les faits le préjudice écologique apparaît plus comme une forme de dommages punitifs que comme une atteinte aux éléments constitutifs de l’environnement. Les éléments de la nature ne sont pas envisagés pour eux-mêmes mais comme attributs du bien-être humain.

Respecter la nature au nom des intérêts bien compris de l’homme risque de manquer d’efficacité. La balance des intérêts joue le plus souvent en faveur des activités économiques. La biodiversité reste une notion vague. Les espèces et les zones protégées ne concernent qu’une infime partie de la diversité biologique. Il est difficile de prouver que les espèces en voie de disparition jouent un rôle essentiel dans la machinerie écologique. Les expressions patrimoine des peuples ou patrimoine de la nation utilisées dans la convention de Berne ou dans le Code de l’environnement sont peu efficaces car de nature symbolique. Ni les nations ni les peuples ne sont des personnes juridiques. Le cumul d’externalités négatives, voire dispersées, peuvent être un facteur important dans le changement climatique alors que chaque externalité est difficile à mettre en cause sur le plan du droit. La souffrance animale n’est pas forcément reconnue en tant que telle. La souffrance dans les corridas ou dans les abattoirs pour raison religieuse est tolérée. La Cour de cassation a cassé le 23 janvier 1989 un arrêt d’une cour d’appel qui condamnait des actes de cruauté. Elle n’avait pas constaté l’existence d’une intention de provoquer la souffrance ou la mort.

Un droit à la nature contesté-----------------------------------------------------------------------------------------------

La vision anthropocentrique

Les anthropocentristes contestent le principe, la possibilité et l’utilité d’accorder des droits à des non humains. Les droits de l’homme représentent l’aboutissement de la philosophie politique moderne. Sur eux reposent les fondements de l’édifice social. L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 évoque les droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Accorder aux espèces et à la nature des droits égaux à ceux de l’homme est une négation de la déclaration. Un humain ne saurait être condamné pour « crime contre l’écosphère ». Utilisant un raisonnement humain fondé sur des valeurs humaines, un tribunal humain ne peut pas rendre une justice réellement écocentrée. La prise en considération de la nature ne nécessite nullement une déconstruction des droits de l’homme ni une extension inconsidérée de la qualité de sujet juridique. La notion de patrimoine peut être utilisée. C’est un concept d’origine juridique reconnu en droit international. Il permet de prendre en considération les générations futures. Les ressources naturelles peuvent être incorporées dans le champ public.

Des droits attendus------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La vision écocentrique

La destruction anthropique silencieuse et inexorable de l’environnement menace la vie sur Terre telle que nous la connaissons. Seuls un sursaut éthique et une reconnaissance des droits de la nature sont à même de répondre à un écocide. De nouvelles règles d’hospitalité sur la planète doivent être définies. Un contrat social incluant les devoirs vis-à-vis de la Terre doit être instauré .

Être sujet de droit, un problème technique----------------------------------------------------------------------------

Sujet de droit est un concept technique imputant des droits et des obligations. L’enseignement juridique distingue les personnes physiques ou humaines et les personnes morales. Leur régime juridique est distinct. Les premières relèvent essentiellement des droits civil et pénal, les secondes du droit commercial et du droit public. Elles sont les deux sujets de droit. La qualité de sujet de droit peut être élargie à d’autres entités. Cette vision technique ne dit rien du sujet, hormis sa capacité à ester en justice. Les non humains peuvent avoir la qualité de sujet de droit sans pour autant disposer des mêmes droits que l’homme.

Accorder à la nature le statut de sujet de droit et lui donner la capacité d’agir en justice permet de la protéger en opposant des droits à des droits. L’idée que les éléments constitutifs de la nature puissent être des sujets de droit et non des objets de droit date de 1972. L’objectif était de sensibiliser les juges à la disparition de plantes, d’animaux ou de l’eau. Parler en leur nom facilitait leur défense. Être représenté est une possibilité qui existe déjà. Les personnes ne disposant pas de capacité juridique et les enfants sont représentés. Les associations dont l’objet social est la protection d’éléments de la nature estent en justice et sont indemnisées, mais ce champ est très restrictif. Des droits contradictoires ne sont pas l’exception dans la civilisation occidentale. Des positions particulièrement controversées existent sur des thèmes tels que l’infanticide, les droits des femmes et l’usage de drogues. La justice tranche entre des principes de décision morale qui sont en concurrence.

Détenir une valeur intrinsèque pleinement reconnue fait une grosse différence dans la détermination du statut moral d’une personne ou d’une chose. À défaut seule son utilité pour l’homme serait prise en compte. Cette valeur reconnue n’est pas inviolable puisque l’homme a aussi une valeur intrinsèque. Seulement en cas d’atteinte une preuve de cette nécessité doit être fournie. Accorder à la nature le statut de sujet de droit n’implique nullement l’égalité en droit avec l’homme.

Le concept de Nature/Culture sépare les humains des non-humains. Que les acteurs soient humains ou non-humains ils disposent d’une puissance d’agir sur son comportement. Les êtres vivants non-humains, à l’instar des humains, mettent en mouvement l’air, l’eau, le sol et, de proche en proche, tout le climat. Sans les plantes l’eau aurait disparu depuis bien longtemps comme elle l’a fait sur les autres planètes et le CO2 serait en plus grande quantité dans l’atmosphère.

Chaque agent agit pour sa survie dans le cadre de ses possibilités. Des rétroactions s’établissent avec l’environnement. Les agents acquièrent la dimension qu’ils sont capables de prendre, ni plus, ni moins. Lorsqu’une autorégulation émerge cela n’implique ni intention, ni prévision, ni anticipation. Il s’établit, ou ne s’établit pas, des équilibres et des autorégulations. Qu’il puisse y avoir des autorégulations au niveau des parties ne signifie pas qu’il y ait autorégulation au niveau du tout. La Terre n’est pas un système préordonné et régulé. Ainsi la production d’oxygène par les plantes et l’émission de dioxyde de carbone par les humains ne relèvent pas d’un équilibre de la nature. Aucun système englobant et prédéterminé de rétroaction ne les rappellera à l’ordre. Il n’y a pas de Loi de la Nature à laquelle on puisse se référer. Chaque élément de la nature défend ses intérêts.

L’Anthropocène

Avec l’Anthropocène est apparue la conscience que l’Homme n’est plus le seul à agir. Les éléments venant de la nature interfèrent. Au vu du réchauffement climatique il n’est plus possible de ne rien faire. Aucun contrat avec la Nature ne peut être passé. C’est elle qui dirige. Aucun arbitre supérieur ne peut être requis. Seul un compromis peut permettre de survivre dans la durée. Dans une telle concertation toutes les parties prenantes doivent pouvoir s’exprimer et défendre leurs intérêts.

La Nature représentée-----------------------------------------------------------------------------------------------------

La Nature et l’Humain sont des entités abstraites qui recouvrent des acteurs aux intérêts très dissemblables. Chaque acteur doit pouvoir définir les limites au-deçà desquelles son existence est menacée. L’humain doit être décomposé en peuples distincts, dotés d’intérêts contradictoires. Doivent être représentées les populations subsahariennes comme celles des pays industrialisés, les ouvriers des usines comme la gentry, les agriculteurs de monocultures comme les paysans de l’agroécologie. Leur empreinte écologique n’est pas la même.

Les éléments de la Nature doivent également être représentés en tant que tels.

Ils ne sont ni des objets inertes, ni des arbitres finaux. Ils font partie de la concertation pour fixer des limites à tous les acteurs. Leurs intérêts ne peuvent pas être pris en compte sans un humain qui les incarne. C’est donc une voix humaine qui doit représenter l’eau, l’atmosphère, la forêt, les océans, etc….Pour Bruno Latour, les humains doivent apprendre à fixer des limites à leur activité. Ces limites doivent être volontairement et politiquement décidée.

Une évolution des souverainetés ?----------------------------------------------------------------------------

La souveraineté légale internationale s'est traduite dans le domaine de l'environnement par le développement, voire la prolifération, des accords multilatéraux sur l'environnement (AME). Sujet par sujet, des accords ont été conclus pour protéger des ressources communes (océans, atmosphère...), réguler les activités destructrices de l'environnement et prévenir les externalités négatives. Cette multiplication des traités, notamment après 1980, peut s'interpréter de deux manières opposées. Elle peut être considérée comme une érosion progressive de la souveraineté, les États étant contraints d'abandonner une partie de leur autonomie de décision pour se soumettre à des règles et des normes négociées avec d'autres au bénéfice de l'intérêt commun. C'est l'interprétation communément admise. Mais elle peut aussi se comprendre comme la reconnaissance mutuelle de politiques environnementales, la quasi-totalité des États s'étant dotés pendant cette même période d'administrations dédiées à la protection de l'environnement. à partir de la fin des années 1970, les états ont en effet commencé à adopter des réglementations environnementales pour faire face aux pressions internes et satisfaire à leurs nouvelles obligations internationales. La construction des politiques environnementales est la résultante de ces diverses forces. Ainsi, la protection de l'environnement induit une évolution de la définition de la souveraineté légale internationale et des conditions de son exercice.

La souveraineté westphalienne se réfère à la notion d'autorité exclusive sur un territoire défini ; c'est-à-dire à l'interdiction par la puissance souveraine de l'intervention d'autres acteurs sur son territoire. C'est la traduction, dans le langage de la théorie moderne de l'État, de la définition de la souveraineté donnée par Jean Bodin dans ses Six Livres de la République de 1576. L'autorité suprême n'est plus le prince mais l'État. Dans le domaine de l'environnement, cette souveraineté westphalienne est invoquée, au moins de façon rhétorique, dans la négociation des traités pour en limiter le caractère contraignant. Elle est menacée de façon croissante par le réseau toujours plus dense de débats d'expertise et d'influences d'acteurs opérant à l'échelle globale.

Justice climatique---------------------------------------------------------------------------------------------------

Le droit international de l’environnement développe, à partir de la conscience de la solidarité écologique qui unit l’ensemble de la communauté du vivant, des principes et des instruments juridiques visant à réintroduire les impératifs écologiques et donc de la cohérence dans les relations internationales. Dans cette lignée le droit international applicable à la lutte contre les changements climatiques, même contraint par les règles de la souveraineté de l’État, devrait favoriser une nouvelle approche des objets et des sujets de droit, des devoirs et des obligations de chacun (État et individus) dans des liens écologiques assumés et mis en valeur dans des instruments de coopération. Or, l’Accord de Paris nous montre malheureusement une tendance à privilégier non pas une approche collective des enjeux climatiques, mais plutôt une approche basée sur l’accord de volonté et la capacité de l’État à faire face à des engagements en fonction de son niveau de développement. La défense d’un intérêt supranational supérieur semble s’effacer derrière les prétentions étatiques et le respect de la souveraineté de l’État dans son acception la plus classique.

Les prochaines étapes des négociations climatiques conduiront peut-être à envisager une souveraineté étatique porteuse de l’intérêt général de l’humanité pour une lutte efficace contre les changements climatiques, abandonnant ainsi les contraintes d’une souveraineté cantonnée à la défense d’intérêts (notamment économiques) nationaux. Dans cette perspective, le concept de justice climatique dont le contenu sera précisé, pourrait être porteur d’une nouvelle ambition pour la communauté internationale.

Et la Durance ?-------------------------------------------------------------------------------------------------------

Il s’agissait ici de rassembler des éléments factuels et théoriques à destination des membres de SOS Durance Vivante. Qu’est ce qui nous anime dans cette aventure avec la Durance ?

La Durance est une rivière – presqu’un fleuve - sur laquelle les humains ont et continuent d’avoir un impact puissant et parfois fort dangereux , pour elle et pour eux.  La Durance pourrait-elle avoir  « voix au chapitre », parmi les acteurs qui disent la gérer, ensemble et/ou séparément ?

Les humains poursuivent l’exploitation de cette rivière, toujours définie comme une ressource.

Interroger les poissons ?

Les poissons et autres amphibiens ont dû s’adapter à des interventions permanentes depuis des siècle : canaux, barrages, aménagements, et ouvrages divers, agriculture, usines, ils ont été et sont encore largement ignorés, tout comme les insectes ou les oiseaux qui vivent- ou vivaient- grâce à la rivière. Il pourrait sembler pertinent de donner une voix singulière à ces êtres vivants censés être muets (comme les carpes !), en essayant de mieux connaitre leur évolution et leur état actuel.

Séparer l'homme de la nature, comme nous le faisons en Occident,

a transformé cette nature en "ressources", soumises au contrôle des hommes. [...]

Mais la nature transformée en "ressources" devient muette, "inanimée",

on peut l'utiliser comme bon nous semble,

au détriment des autres espèces et, à terme, des humains.

 Philippe Descola, Interview par Olivier Pascal-Moussellard, Télérama n°3392, janvier 2015

 

 

Françoise Sinoir – mars 2019